J' AI CHERCHE SI C'ETAIT VRAI

Bernadette Cornuau , une femme engagée

 

Jean-Michel Defromont

Editions Quart monde

 

Qu'est-ce qui a poussé Bernadette , vingt trois ans ,  jeune secrétaire de Direction auprès du patron de la plus grande entreprise de luxe française , à faire un virage à trois cent soixante degrés l'amenant au camp de Noisy- le grand , dans lequel des familles en grande difficulté , ont échoué par centaines ?

Elle dit elle-même : « ce ne sont pas les conditions de vie difficiles , ni la pauvreté qui m'ont atteinte , c'est la misère , dans le sens d'être considéré comme rien , complètement déprécié par les autres . Mon centre de gravité , c'est le refus de l'injustice , le refus de l'exclusion .Un combat pour la reconnaissance. »

Pas étonnant alors qu'elle ait oeuvré auprès du Père Joseph Wresinsky , dans le mouvement « Aide à toute détresse » plus connu sous l'appellation ATD Quart monde  , jusqu'à sa mort en 2012 , emportée par une amylose.

A la toute fin de sa vie , Bernadette a accepté que J.P.Defromont , Volontaire permanent , qui la connait depuis trente huit ans , écrive avec elle son parcours singulier , qui pour beaucoup reste un mystère.

L'auteur précise qu'à sa première rencontre avec Bernadette , en 1974 : « si cette femme de 40 ans m'intimidait c'est d'abord parce que , depuis 17 ans déjà , elle , qui n'avait pourtant rien d'une baroudeuse , bourlinguait de ghettos en bidonvilles , aussi bien en Europe qu'en Amérique du Nord ou au Moyen-Orient »

Un samedi de1957, Bernadette frappe à la porte d'une baraque en planches qui sert de bureau au Père Joseph.A peine entrée il lui dit «  vous avez du temps ? Je dois aller voir une famille , ça ne vous ennuie pas ? » Bernadette le suit ,  assiste à la visite , bouleversée par ce qu 'elle voit et entend : chaises cassées , pas de tasses pour le café , le père couché sur un matelas à même la terre battue.

Le Père Joseph avait dit peu de choses à cette mère qui n'avait pas arrêté de parler « la visite ayant duré le temps nécessaire à cette femme pour éteindre l'incendie de ses mots .Puis le Père Joseph s'est levé , sans faire de commentaire , ni donner de conseils.Juste : merci pour le café.

Le Père Joseph appliquera cette ligne de conduite tout au long de sa vie : lutter contre l'exclusion , donner la parole à ceux qui ne l'ont jamais , écouter , ne pas parler ni décider  à leur place , en veillant à ce que personne ne reste seul devant la misère.

Il ira jusqu'à faire toutes les démarches possibles  pour que le monde des intellectuels et des scientifiques ouvre ses portes à ce qu'il appelait  «  son peuple »

Ce fut le 1er juin 1983 ,  dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne débordant d'hommes et de femmes dont la plupart n'en aurait jamais  franchi les portes sans cette occasion , que résonna la voix d'un homme dont le défi était de montrer d'une part que les gens à qui le savoir manquait le plus avaient le droit d'y accéder , et d'autre part que les détenteurs de ce savoir avaient à prendre conscience qu'il leur en manquait un précisément : le savoir de ceux qui en étaient le plus privés.

Bernadette ne supporte pas que l'on porte sur les « familles » comme elle dit , un regard négatif.Et à J.P.Defroment qui lui demande : qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui nous disent que nous sommes des naïfs elle répond : non on n'est pas des naïfs.Dans le mouvement on a appris à aimer les gens , on a eu cette chance là , d'aimer les gens.

Et l'auteur  de regretter de ne pas lui avoir posé la question : peut-on imaginer l'école de la République inscrire un jour dans ses programmes :  «  l'Education du coeur » , formule chère au Père Wrésinsky. ?