Comment apprendre à vivre pleinement l'instant présent ?

Qu’est ce que la sagesse, si ce n’est de résister à se laisser entraîner dans la maëlstrom émotionnel des événements et des désirs ? Certains psychologues ont décrit le « paradoxe de l’âge », une notion qui désigne le fait qu’en dépit de l’affaiblissement des capacités intellectuelles, de l’appauvrissement des relations sociales, un certain « bien-être » peut se développer en vieillissant.

 

Percevoir la beauté du présent

L’idée de fond serait que l’avancée en âge susciterait une meilleure régulation émotionnelle. Une des interprétations psychosociales de ce biais de « positivité » du vieillissement, surprenant en notre époque où il est synonyme de déconnexion et de déshérence tient à une perception forte du temps (plus) limité qui reste à vivre.

Rien de pessimiste en tout cela, mais simplement une autre manière d’habiter le présent, sans être constamment projeté en avant. Et justement de le percevoir avec sa richesse de sens et sa beauté.

Cette sagesse n’est pas seulement celle des plus âgés, mais aussi de ceux qui n’ont pas encore à se préoccuper de l’avenir, et des multiples projets qu’il suscite. Les enfants rejoignent alors les « vieux » en cette forme de sagesse.

 

Une sagesse particulière

Mais aussi tous ceux qui n’ont que le présent. Dans Les frères Karamazov, le beau livre de Dostoïevski, un des personnages – un starets, une sorte de vieux moine qui tente d’accompagner difficilement la tumultueuse famille Karamazov – raconte comment il a été marqué, dans sa jeunesse un peu perdue, par la figure de son frère ainé mourant, fasciné par la belle habitation du présent et de sa beauté, parce que l’avenir évidemment ne lui était plus donné.

Le vieux prêtre, lui aussi devenu sage, avait été édifié et converti, en sa jeunesse, par ce frère mourant aux derniers jours si joyeux et vibrants. Ce sont là des exemples extrêmes, mais ils nous disent quelque chose de nous-même.

Cette « sagesse » n’est pas seulement celle du manque. Elle tient à l’urgence du présent. On peut faire des projets pour l’avenir, et c’est bien. On peut aussi demeurer intensément, réellement, concrètement dans ce qui est à vivre, sans bâtir nécessairement des plans sur la comète.

 

Apprendre à ne pas attendre

Nous expérimentons une période qui oblige à la sagesse. Sans verser dans le tragique de l’absence totale d’avenir, nous demeurons dans une parenthèse qui dure, et peut se prolonger encore de longs mois, voire quelques années.

Utilisons la pour habiter au maximum notre présent. En tirer tout ce qui est possible. La régulation émotionnelle n’est pas un aplatissage de ce qui pourrait nous bouleverser ou nous détruire. Cela n’est pas non plus une tiédeur qui aiderait à vivre.

Elle est simplement le résultat d’une distance et d’une profondeur qui permettent d’expérimenter l’instant, avec exigence et sans illusion. Ne rien attendre de spécial, c’est aussi demeurer ouvert à tout ce qui peut arriver. Et le saisir au passage. C’est cela la sagesse. Ne pas agripper n’importe quoi, mais ce qui peut faire vivre, ce qui permet de durer. Ce qui suscite la joie. Ce que nous vivons actuellement nous apprend à être sage…