Et si nos églises redevenaient des "oasis de beauté"

 

Publié le 27/04/2020

Pierre Téqui

 

 

Certes, les lieux de culte n’ont pas vocation à devenir de simples musées. Mais peut-on pour autant dissocier leur dimension patrimoniale de la réalité spirituelle ? Le regard de Pierre Téqui, attaché de conservation.

 

Car, comme Notre-Dame, beaucoup de nos églises possèdent une dimension culturelle autant que cultuelle. Nos paroisses sont bien souvent des monuments historiques abritant des tableaux et des sculptures signées par les plus grands artistes. Dès lors, leur dimension « muséale » peut légitimement s’envisager.Le 15 avril, un an après l’incendie de Notre-Dame, La Croix publiait trois tribunes. L’une d’elles, signée par Michel Pastoureau et suggérant de « déconsacrer Notre-Dame », fit particulièrement réagir, avant qu’on apprenne qu’il s’agissait d’ironie. Le malentendu est désormais dissipé et il n’est plus question de transformer Notre-Dame en musée. Si bon nombre de ceux qui s’étaient empressés de répondre sont maintenant rassurés, il serait regrettable que les polémiques escamotent les réflexions.

Demandons-nous donc quel statut nous donnons à ces œuvres d’art conservées dans nos églises ? La réponse se trouve sans doute dans la vision qu’a le pape François de l’art, une vision qui mêle le Beau à la Charité et rejoint les problématiques posées par la pandémie et le confinement. Une tribune samedi 25 avril dans La Vie demandait si nos paroisses étaient prêtes à affronter l’afflux de la misère. On y plaidait pour une réinvention de nos paroisses. Au cœur de nos églises, les œuvres d’art font partie de la réponse.

  

Des oasis de beauté au cœur de la misère
On l’oublie souvent mais le pape François attache de l’importance à l’art. Son intention de prière du 27 avril à la Maison Sainte-Marthe était d’ailleurs tournée vers les artistes. Il y a quatre ans, il publiait un livre sur le sujet, Mon idée de l’art, dans lequel il affirmait que l’art « ne devait écarter rien ni personne. Comme la Miséricorde ». Deux ans plus tard il appelait « à servir la création et la préservation “d’oasis de beauté” dans nos villes trop souvent bétonnées et sans âme ».


Cette idée que notre pape se fait de l’art est également exprimée au cœur de Laudato si’. Envisageant une crise globale, il y affirme que « les solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie ».


De fait, nos églises ne sont pas des musées, mais bien souvent des « oasis de beauté », et il nous appartient de faire connaître la gratuité de la beauté – car, malgré les voix qui s’élèvent pour faire payer l’entrée de Notre-Dame, elle est encore gratuite, cette beauté.

Que faisons-nous de tant de beauté ?
À entendre les professionnels du patrimoine et les historiens de l’art, lors des colloques qu’ils organisent, l’Église a délaissé l’art et le visible. Depuis l’abstraction, elle ne semble guère s’émouvoir de la relative inexistence d’un art chrétien et, comparativement à ce qu’elle fut dans l’histoire, sa place comme commanditaire d’œuvres d’art est aujourd’hui réduite à peau de chagrin.
De fait, les enfants qui sortent du catéchisme sont-ils seulement capables de détailler l’iconographie des tableaux de leur église ? Vient-il à beaucoup de prêtres l’idée de commenter le vitrail relatif à l’Évangile du jour ?
Quel usage faisons-nous de ces bibles d’images que sont nos églises ? Sont-elles des supports à une quelconque pastorale ?

 

Nous avons la chance de disposer d’un magnifique patrimoine. Certes, il nous embarrasse lorsque les coûts pèsent sur le denier du culte, mais la majorité de la facture est assumée par la collectivité. Et si l’Église n’est plus propriétaires des murs et des œuvres, ils appartiennent cependant à son histoire. Car c’est le clergé qui fut à l’origine de la commande ou qui bénéficia des largesses des mécènes. Être affectataire et non pas propriétaire ne saurait nous dispenser de considérer la beauté comme étant nôtre.

 

L’art au service de la miséricorde
Le pape François assigne au moins deux rôles à l’art. C’est un instrument d’évangélisation mais également un instrument pour s’opposer à la culture du rejet et servir un objectif : inclure.


Que l’art soit un instrument d’évangélisation, nous l’imaginons bien : il nous donne à voir le Beau, témoigne de Dieu et permet d’accéder à la foi. L’art, nous dit le pape François, « a été le deuxième dans l’histoire, après la vie, à témoigner du Seigneur. En effet, il a été, et il est, une voie maîtresse qui permet d’accéder à la foi plus que beaucoup de paroles et d’idées, parce qu’il partage le même sentier que la foi, celui de la beauté ». Il convient donc de savoir lire un tableau comme on sait interpréter un texte. Les ouvrages des historiens de l’art nous seront d’un aussi grand secours que ceux des théologiens.


Mais comment l’art pourrait-il inclure ? Comment pourrait-il nous aider à aller au-devant de notre prochain ? Tout d’abord en faisant de nos paroisses des lieux où vient se reposer le regard fatigué et assombri par le confinement : ces fameuses « oasis de beauté ».

 

Mais sans doute également en prenant exemple sur les musées : ces derniers se préoccupent depuis des décennies de lutter contre la précarité par le secours de l’art. Les musées, comme les paroisses, peuvent créer du lien entre les personnes pour les élever vers le beau. Et nos paroisses ont sans doute beaucoup à apprendre d’eux sur ce plan. Lorsque le musée du Louvre ouvrit une antenne à Lens, au cœur du bassin minier, les paroissiens de l’église voisine organisèrent la « messe du Louvre » : l’homélie prononcée par le célébrant s’appuyait sur un tableau exposé au Louvre-Lens. Quelques mois après l’ouverture, le diocèse avait rédigé un livret d’aide à la visite pensé comme un parcours spirituel.

 

Saisissons-nous de nos trésors
Oui, nos églises doivent accueillir toutes ces personnes frappées par la précarité qui taperont à la porte. Oui, nous dresserons des barnums en aluminium devant des portails gothiques et nous installerons des tables pour distribuer des sacs contenant des colis alimentaires. Mais, alors que les musées vont sans doute tarder à rouvrir, il ne faudra pas oublier combien nos églises sont belles et combien les œuvres d’art qu’elles renferment le sont également.

 

Au cœur de la réinvention de nos paroisses, au cœur de leurs projets pastoraux, il importera sans doute, demain, et plus que jamais alors que la crise arrive, de montrer combien l’œuvre d’art peut être centrale, chère au cœur des diocèses, importante pour l’Église et nécessaire au quotidien des paroisses. Il faudra imaginer des façons nouvelles de la mettre au service de l’évangélisation, imaginer comment en faire des instruments au service de toutes les personnes que la crise va exclure et qui, privées de tout, auront soif et besoin de nos oasis de beauté.


Au cœur de la polémique qui fit craindre que Notre-Dame ne se transforme en musée, on en a quelque peu oublié un autre regard sur tout ce à quoi le diocèse réfléchit pour faire de Notre-Dame une cathédrale qui remplisse au mieux ses fonctions cultuelles et culturelles. Quand Gilles Drouin, prêtre et directeur de l’Institut supérieur de liturgie, décrit la Notre-Dame de demain – lui qui fait partie du conseil scientifique de la restauration de la cathédrale –, il nous assure que celle-ci ne sera pas un musée mais une église où l’art sera au service de l’accueil du visiteur et de la spiritualité du pèlerin. Alors, accompagnons Notre-Dame et précédons la dans ce changement.