Édition du mercredi 27 mai 2020

Méditation du Pape François sur la communication et les échanges entre personnes

Le Pape François : Sans regard d’amour, la communication devient un duel.

 

Dans Divers et unis, un livre à paraître mercredi 27 mai, aux éditions Salvator, le pape se livre notamment à une méditation sur la communication et les échanges entre personnes. Ouest-France publie, aujourd’hui, en exclusivité quelques morceaux choisis d’un texte inédit.

 

François tire sa réflexion d’un extrait de l’Évangile de Marc (chapitre 10, versets 17-31). L’évangéliste narre la rencontre entre Jésus et « un jeune homme riche » qui cherche à savoir comment atteindre la « vie éternelle ».
Jésus lui rappelle les « dix commandements » et son interlocuteur lui répond qu’il les observe depuis sa jeunesse. Jésus pose alors un regard d’amour sur cet homme avant de l’inviter à donner tous ses biens aux pauvres.
Regarder et aimer l’autre en respectant sa liberté, c’est le fil conducteur de cette méditation du pape François, qui écrit : « Sans ce regard d’amour la communication humaine, le dialogue entre les personnes peut facilement devenir seulement un duel dialectique, tandis que ce regard révèle au contraire qu’une autre question est en jeu, vertigineuse, où ce n’est pas le fond de la discussion qui est au centre, mais bien davantage, le sens même de l’existence, la mienne et celle de mon interlocuteur. »

 

Extraits du texte "Avec le regard de Jésus", dans Divers et Unis aux éditions Salvator


Construire des relations
« Etre hommes veut dire communiquer, entrer en contact avec le monde et avec les autres et construire des relations. […] Jésus ne pense pas seulement à ce qu’il veut dire à son interlocuteur, mais il pense à celui qui est là devant lui, et même, encore avant de penser à lui, il le regarde, il fixe ses yeux sur lui avec amour. »
« Dans les sociétés occidentales surtout, […] l’attitude contemplative, semble ne plus avoir droit de cité, et avoir disparu du paysage quotidien, dans la vie de tous les jours […] On a ainsi perdu quelque chose, personne ne regarde plus l’autre dans les yeux, on ne se « tient » plus l’un en face de l’autre, en arrêtant un instant la course frénétique du temps auquel nous sommes soumis.
En pensant à cela, j’ai exprimé […] le souhait que l’Occident retrouve grâce à l’Orient le sens de la « poésie », en voulant désigner par cette belle parole justement le sens de la contemplation, le fait de s’arrêter, de s’accorder un moment d’ouverture envers soi-même et envers les autres sous le signe de gratuité, du pur désintéressement. »
La parole, un lieu de rencontre
« Sans ce « plus » de la poésie, sans ce don, sans la gratuité, ne peut naître aucune véritable rencontre, ni aucune communication proprement humaine. Les hommes « communiquent » non seulement en échangeant des informations, mais en essayant de construire une « communion ». Les paroles doivent donc être comme des ponts jetés pour s’approcher des différentes situations, pour créer un terrain commun, un lieu de rencontre, de discussion et de développement.
Ce rapprochement implique comme condition de départ le fait d’être disposés à écouter avec patience les prises de position de l’autre, parce que fixer, regarder suppose que l’on accepte d’être fixés et regardés à notre tour : dans la communication, on s’offre l’un à l’autre. »
Reconnaître l’autre et sa liberté
« Il nous faut du courage. […] un dialogue effectif « suppose sa propre identité, qu’il ne faut pas abdiquer pour plaire à l’autre. Mais en même temps demande le courage de l’altérité qui comporte la pleine reconnaissance de l’autre et de sa liberté […] sans liberté, il n’y a plus d’enfants de la famille humaine, mais des esclaves […] Le courage de l’altérité est l’âme du dialogue qui se fonde sur la sincérité des attentions. »

« Identité et altérité n’existent ensemble et ne peuvent cohabiter que dans un contexte de courage, de liberté et de prière. L’altérité est vitale pour l’identité. […] Un cœur replié sur lui-même tombe malade […]. La relation a sa « respiration » qui a besoin de rythme et d’oxygène pur, conditions qui ne sont assurées que par la présence de l’autre. Mon identité est un point de départ, mais sans l’altérité elle tombe dans le vide, elle dépérit et risque de mourir. Sans la reconnaissance de l’altérité non seulement l’autre meurt mais moi aussi. […] pour être « pleine » cette reconnaissance doit s’ouvrir à la reconnaissance de la liberté de l’autre. C’est là un point crucial. »

On n’aime que dans la liberté

« Jésus ne regarde pas l’autre comme un « spectacle », mais comme une personne, comme un don, comme un être que Dieu a voulu créer librement (par amour) et mettre sur sa route. Dans son regard d’amour est déjà contenue la dimension de la liberté. On n’aime que dans la liberté et seul l’amour véritable rend et laisse les autres libres. […] C’est justement la liberté qui est « l’accompagnement » essentiel pour rendre pleinement humaine l’existence des personnes sur la terre, et également tout acte communicatif. »

Pour un avenir de plénitude

« Sans la liberté il n’y a pas de vérité, toute relation devient imposture, hypocrisie, glisse dans la superficialité ou, pire, dans l’instrumentalisation. Je me rapproche de l’autre pour « l’utiliser » et je finis ainsi par lui enlever sa liberté. Alors que c’est justement une relation basée sur l’amour qui garantit notre propre liberté et celle d’autrui, même si cela implique que l’on s’expose au risque. » « Jésus, dès l’instant où il fixe son regard sur le jeune homme qui est devant lui, ne le « dévisage » pas pour trouver ses points faibles, mais le contemple comme s’il venait de sortir des mains créatrices de Dieu le Père et il est heureux de son existence, il l’aime de manière effective et l’appelle à dépasser toutes les prisons et les blessures passées pour un avenir de plénitude, en répondant ainsi à la question sur la possibilité d’une « vie éternelle » ».

Extraits du texte « Avec le regard de Jésus », in Divers et Unis aux éditions Salvator