Déclaration sur le confinement "cultuel"...

de Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque du diocèse de Limoges, à ses diocésains

Chers diocésains, 

 

Comme vous savez, le gouvernement, par décret du 29 octobre portant sur « les mesures générales pour faire face à l’urgence sanitaire », a interdit le rassemblement dans les lieux de culte, sauf pour la célébration d’obsèques à concurrence de 30 personnes. Il nous est donc interdit, entre autres, d’y célébrer les messes dominicales. 

 

La Conférence des évêques de France a fait appel de cette décision devant le juge des référés du Conseil d’État, comme portant atteinte à la liberté de culte. Sans succès. Le juge a motivé son rejet de notre recours pour des raisons sanitaires. De fait, la situation sanitaire est grave. 

 

Je continue de ne pas comprendre que la foule puisse se presser dans les magasins de bricolage le samedi mais non pas participer à la messe dominicale en respectant un protocole sanitaire exigeant : la liberté en cause n’est pas du même ordre… Il reste que le droit a été dit et nous le respecterons. Notre religion nous indique aussi « d’obéir aux autorités » (Rm 13, 1). Il s’agit ici d’un jugement prudentiel sur une situation compliquée et, sans tout comprendre, nous pouvons faire crédit aux autorités de l’État de chercher le bien commun et non de chercher à nuire aux catholiques. 

 

Malgré ce refus, on peut relever dans le jugement du Conseil d’État quelques points importants :

 

– Le juge a rappelé que la liberté de culte était une liberté fondamentale, qui pouvait s’exercer individuellement et collectivement. Cela nous invite à rester vigilants quand des raisons liées à la sécurité font intervenir les autorités de l’État dans la gestion interne des cultes.

– Le juge a précisé que toute personne pourrait se rendre dans une église proche de son domicile sans condition de distance et en cochant, dans l’attestation de déplacement, la case « motif familial impérieux [1]»Par ailleurs les ministres du culte peuvent continuer à recevoir des fidèles et à se rendre au domicile de ceux-ci comme dans les établissements dont ils sont aumôniers.

– Le juge a exprimé enfin l’importance d’un réexamen prochain des règles pour vérifier l’actualité de leur pertinence, à l’occasion d’un dialogue avec les représentants de l’État et ceux des cultes. Nous restons vigilants pour que cette concertation puisse avoir lieu. 

 

Quelques remarques à cette occasion.

 

En cette affaire, les réactions variés et contradictoires que je reçois manifestent que nous n’avons pas tous le même rapport à l’Eucharistie. Cependant une chose est certaine : ce n’est pas le moment de nous déchirer à ce sujet, nous ajouterions du mal au mal, l’Eucharistie est un sacrement de communion, non de division. En revanche, c’est l’occasion de nous interroger, chacun, en profondeur, sur les questions importantes que pose cette impossibilité de la célébration publique de l’Eucharistie dominicale. 

 

Nous ne pouvons pas minimiser l’importance vitale de la messe. Elle n’est pas une option possible dans la vie d’un chrétien. Elle est un rendez-vous incontournable, une invitation du Seigneur. Profitons du confinement et relisons le discours sur le pain de vie, au chapitre 6 de l’Évangile selon saint Jean, le récit de l’institution de l’Eucharistie et pourquoi pas deux belles lettres de Saint Jean-Paul II : Dies Domini (Le jour du Seigneur – 1998) et Ecclesia de Eucharistia (L’Église vit de l’Eucharistie – 2003). 

 

J’en cite deux extraits : « la célébration dominicale du jour et de l’Eucharistie du Seigneur est au cœur de la vie de l’Église » (Dies Domini, 32). « Aux germes de désagrégation entre les hommes, (…) s’oppose la force génératrice d’unité du corps du Christ. En faisant l’Église, l’Eucharistie créée proprement pour cette raison l’unité entre les hommes » (Ecclesia de Eucharistia, 24).

 

A défaut d’avoir accès à la célébration de l’Eucharistie, nous avons accès aux églises. Elles restent ouvertes[2], nous invitent à nous recueillir, prier, adorer le Seigneur. 

 

Contrairement à ce que j’ai lu, la messe n’est pas interdite ! Les prêtres la célèbrent. Ils vous y portent, vous y présentent au Seigneur. Comme l’indique la prière sur les offrandes du jeudi Saint, « chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit ». 

 

Beaucoup ont souligné à juste titre que la rencontre du Christ dans l’Eucharistie n’est pas le lieu exclusif de cette rencontre. Ils ont bien raison. L’on rencontre le Christ dans les frères, dans les plus pauvres d’entre eux en particulier. On le rencontre dans la lecture de la Bible, dans le cœur à cœur de la prière ou dans la nature qu’on contemple… Mais pourquoi mettre en vis-à-vis ces multiples lieux de la rencontre du Seigneur et l’Eucharistie, ou en faire une alternative ? Comme si la messe trouvait finalement des solutions de remplacement en temps de confinement alors que toutes ces rencontres appellent à une récapitulation et à un accomplissement unique dans l’eucharistie, lieu de la croissance de l’Église et de chacun de nous.

 

« Les sacrements de l’Église ne se réduisent pas à des rites formels et convenus : ils constituent, dans leur contour sensible et leur profondeur conjugués, de véritables rencontres humaines avec le Christ présent et agissant dans son Église, par son Parole et son Esprit [3]».  Nous avons besoin des sacrements. Je n’oublie pas ceux dont la célébration de la confirmation ou du mariage a été reportée, parfois plusieurs fois. 

 

Chers amis, je vous invite à vivre cette privation du rassemblement dominical dans la Foi, l’Espérance et la Charité. Ces trois vertus théologales sont inséparables. Si l’une manque – que chacun vérifie autant qu’il lui est possible – nous ne sommes plus dans une juste attitude chrétienne. Nos incompréhensions doivent et peuvent devenir des occasions d’approfondissement et de dialogue. Nos colères doivent et peuvent être canalisées au profit de notre conversion. Méfions-nous des réseaux sociaux qui favorisent un entre-soi peu propice à une juste intelligence des situations. Vivons de manière dynamique et responsable cette situation d’urgence. Nous sommes attendus pour donner ce que nous avons de meilleur en ces heures compliquées. Si nous n’avons pas les mêmes réactions face à cette interdiction des pouvoirs publics, nous pouvons tous demander la grâce de grandir dans l’intelligence de ce mystère de l’Eucharistie, dont le manque doit plutôt raviver que relativiser le désir. 

 

+ Pierre-Antoine Bozo, 

Évêque de Limoges

 

[1] C’est original que le juge indique ainsi que l’Église est notre famille et que le besoin que nous en avons est impérieux…

[2] Si ce n’est pas le cas, c’est peut-être simplement qu’il manque de chrétiens disponibles pour ouvrir et fermer les églises et veiller sur elles.

[3] Mgr Matthieu Rougé, Un sursaut d’Espéranceréflexions spirituelles et citoyennes pour le monde qui vient, Ed. de l’Observatoire, 2020, p. 43