Publié le 07/05/2020
Laurence Desjoyaux
Confrontés aux nombreuses incertitudes sur les modalités du déconfinement, les paroisses s’organisent pour reprendre les messes, les sacrements et les activités paroissiales. Mais certainement pas comme avant.
Au téléphone, David Lerouge, curé de la paroisse Notre-Dame-de-la-Baie, autour de Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche, le dit tout net : « Le déconfinement me paraît encore loin. Je n’ai pas de visibilité sur la reprise du culte. Pour l’instant, on fonctionne un peu à vue. » En l’absence de directives très précises, chaque paroisse réfléchit ces jours-ci à la façon dont elle va pouvoir « rouvrir », « ressortir », « recommencer », selon les mots des uns et des autres, avec le casse-tête que constitue, pour des communautés qui aspirent à se retrouver, la distanciation sociale.
Entre sécurité et accueil de tous
Or, les modalités de la reprise des célébrations – « d'ici la fin du mois », selon l'indication, le 7 mai, du ministre de l'Intérieur Christophe Castaner – dépendront
largement de la taille et du profil des paroisses. « J’aimerais que nous puissions nous retrouver et célébrer en accueillant tout le monde, explique David Lerouge. Mais nos
paroissiens, comme nos bénévoles, sont majoritairement des gens âgés et je ne veux pas me retrouver en situation de laisser certains de côté. Comment aménager l’église pour ne pas les mettre en
danger ? Pour l’instant c’est flou. » Le prêtre reste marqué par le fait d’avoir dû, lors de la dernière messe avant le confinement, demander à des fidèles qu’il estimait à risque de
rentrer chez eux.
C’est impossible de dire aux gens de venir et puis de les laisser à la porte quand le quota est atteint. Nous allons créer un sentiment d’exclusion.
À Lyon, la très dynamique paroisse Sainte-Blandine, « Lyon Centre », où se retrouvent chaque dimanche plus de 500 personnes le matin et pas loin d’un millier le soir, a pris
une décision radicale : pas de messe avant la rentrée de septembre, quelles que soient les règles qui seront édictées. « Nous en avons beaucoup discuté, mais pour nous c’est
impossible de dire aux gens de venir et puis de les laisser à la porte quand le quota est atteint. Nous allons créer un sentiment d’exclusion alors que nous cherchons, depuis des années, à être
toujours plus accueillants, notamment pour des gens qui n’ont jamais mis les pieds à l’église », explique Caroline Le Gallic, coordinatrice de la paroisse.
Surtout, les membres de l’équipe paroissiale ont été marqués par le développement d’un foyer de contamination lors de la semaine de rassemblement de l’Église évangélique Porte
ouverte, à Mulhouse, en février. « À l’époque, eux ne pouvaient pas se rendre compte !, s’exclame Caroline Le Gallic. Mais nous, aujourd’hui, on sait. Notre règle d’or,
c’est de ne pas mettre les paroissiens et le curé en danger. Notre souci va d’ailleurs être de freiner les bénévoles qui sont très nombreux. » D’ici la reprise physique des
célébrations, ceux qui le souhaitent seront invités, dès le 11 mai, à se retrouver à plusieurs pour suivre l’office en ligne, dans la limite des 10 personnes édictées le 28 avril par le
Premier ministre Édouard Philippe.
Des messes domestiques dès le 11 mai
C’est sur ces petites fraternités que certaines paroisses comptent pour célébrer des « messes domestiques » dès le déconfinement du 11 mai, sans attendre l’autorisation officielle
des célébrations dans les lieux de cultes. Dans les paroisses des Jalles, près de Bordeaux, une dizaine de « fraternités de quartier » avaient pris depuis plus d’un an l’habitude de se
retrouver une fois par mois pour partager l’évangile et le repas. Les trois prêtres souhaitent venir y célébrer la messe, si possible dans des jardins pour bénéficier d’un espace
aéré. « Ce ne sont pas des messes privées, insiste Pierre Alain Lejeune, le curé de cet ensemble paroissial. Notre idée n’est pas tant de répondre à une faim eucharistique que
de pouvoir à nouveau retrouver une proximité. Nous avons cette intuition que la vie paroissiale va redémarrer par du très local, des petits groupes humbles et proches, par une Église qui n’a pas
peur du petit nombre. »
Le but n’est pas seulement de se retrouver pour une messe, mais bien de développer ces fraternités missionnaires que nombre d’évêques appellent de leurs vœux.
À Amiens, on veut aussi s’adresser à « des petites cellules d’Église », des fraternités de proximités de trois, quatre, maximum dix personnes réunies
ensemble. « Nous voulons aussi “dénumériser”, s’exclame Édouard de Vregille, le curé de la paroisse cathédrale. Jusqu’à Pâques, nous étions hyper numériques, en faisant
jusqu’à deux retransmissions sur Internet par jour. Là, on veut sortir du Loft ! » La paroisse s’appuiera sur les petits groupes montés pour le pèlerinage qui devait les emmener
prochainement à Rome.
À Étouvie, un quartier populaire de la paroisse où les fidèles vivent dans des tours, la taille des appartements ne permettra pas de célébrer en respectant les distances de sécurité.
Les petites fraternités se retrouveront donc à la maison paroissiale, peut-être immeuble par immeuble. « Le but n’est pas seulement de se retrouver pour une messe, mais bien de
développer ces fraternités missionnaires que nombre d’évêques appellent de leurs vœux, explique encore Édouard de Vregille. Elles s’engageront à se retrouver pour un temps partagé avant
la célébration, puis à se donner d’autres rendez-vous ensuite. »
Baptêmes, mariages : beaucoup d’inconnues
Mais au fil des mois qui viennent, les paroisses vont devoir faire face à un autre casse-tête : celui des sacrements repoussés ces dernières semaines, notamment les baptêmes et les
mariages. « Il y a encore un mois, on se disait qu’on pourrait faire les baptêmes du mois de mai, mais là, même pour juin on ne prend pas le risque », indique Caroline Le
Gallic, qui sait que la rentrée va être « très chargée » à Lyon Centre. La paroisse a dû annuler les baptêmes d’une trentaine de bébés mais aussi six d’adultes et neuf
d’enfants en âge scolaire. À partir de la rentrée, « si tout va bien », l’équipe d’accompagnateurs espère reprendre la préparation à ce sacrement, mais en limitant la participation aux
réunions à un parent de l’enfant pour respecter la distanciation sociale.
Les paroisses des Jalles, qui célébraient les baptêmes quatre par quatre, ont dû en repousser une cinquantaine. « J’aurais aimé faire une grande fête du baptême à la
rentrée, mais vu les mesures sanitaires, on va plutôt devoir multiplier les célébrations. Si au moins on nous disait clairement qu’on ne pourra pas se réunir à plus de 100 jusqu’à la fin de
l’année, on pourrait s’organiser », souffle Pierre Alain Lejeune. Les inconnues restent en effet nombreuses. « Nous aimerions bien faire baptiser notre petite fille en juin ou
juillet, explique Alice qui habite Valenciennes. En mars, on avait prévu d’inviter tous nos amis, là on espère juste pouvoir faire venir le parrain et la marraine, mais ils habitent à
plus de 100 km de chez nous… »
Certains mariages vont être repoussés à l’an prochain mais il va y avoir de toute façon un effet de saturation pour la location des salles !
Les mariages repoussés sont aussi un sacré casse-tête. « On a 25 mariages par été, explique David Lerouge, dans la Manche. Certains vont être repoussés à l’an prochain
mais il va y avoir de toute façon un effet de saturation pour la location des salles ! » Pour ceux qui souhaitent se marier rapidement, faisant une croix, au moins temporairement,
sur la fête, les choses ne sont pas plus simples. C’est le cas de Sylvie et Laurent qui devaient se marier le 2 mai. « Notre idée, c’est de nous marier le plus rapidement possible,
nous en avons marre d’attendre, s’exclame Sylvie. Notre dossier canonique est prêt à être envoyé à la première paroisse qui voudra nous marier, mais nous devons d’abord passer par la
mairie et pour l’instant, c’est le flou total, aucune information sur la reprise des mariages. Franchement, j’en ai pleuré toutes les larmes de mon corps, mais je me dis que ça nous apprend aussi
à vivre vraiment au jour le jour. »
Plus douloureux : les obsèques qui ont eu lieu pendant le confinement en petit comité. « Nous avions prévu d’organiser cet été des rites autour de la mort avec les familles
endeuillées qui n’avaient pas pu se réunir, explique le David Lerouge. Cette promesse, serons-nous capable de la tenir ? Je ne sais pas… »
À l’écoute de l’Esprit saint
S’il y a une constante pour les paroisses à l’approche du déconfinement, c’est le sentiment qu’il ne faudra pas reprendre comme avant. À Amiens, on a déjà décidé de faire quelques changements
concrets. La newsletter par mail remplacera par exemple le journal paroissial imprimé, sauf pour ceux qui n’ont pas Internet. Les prêtres se sont par ailleurs rendus compte « qu’ils
courraient constamment », explique Édouard de Vregille. L’arrêt brutal des célébrations va paradoxalement permettre de prendre des décisions difficiles, notamment celle de ne plus
célébrer la messe dans tous les clochers chaque week-ends. « Nous avons décidé de partir des communautés réelles et non pas de la géographie », explique le curé. À Lyon
Centre, où une « équipe confinement » s’est montée pour réfléchir à la suite, on se réjouit que le moment soit une opportunité pour innover.
D’autres changements seront en partie imposés par un cadre légal qu’il faudra transcender : « Qu’est-ce qu’on trouvera pour proposer la foi de manière nouvelle, pas seulement en
butant sur ce cadre ? », s’interroge David Lerouge, qui se méfie des réponses trop rapide. « Nous allons devoir faire un travail qui, à mon sens, se rapproche de celui du
deuil. Or, ce n’est souvent pas dans la violence du deuil qu’on est capable de savoir ce que l’on fera pour la vie. » Même intuition pour Pierre Alain Lejeune, qui veut prendre le
temps : « Je me méfie des plans de bataille, insiste-t-il. J’ai l’espérance que nous soyions à l’écoute de l’Esprit saint, sans apporter trop vite nos réponses après le
confinement. »